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L'hégire du Prophète ﷺ

Nombreux d'entre nous pensons que la Hijrah a eu lieu durant le début du mois de Muharram et mettons en relation cet évènement avec le début de l'année hégirienne alors que la réalité est tout autre ! En effet, le voyage de l'Hégire s'est déroulé au cours du mois de Rabî' al-awwal et le Prophète arriva le 12 de ce mois à Médine. Voici son déroulement.

Il serait naturel de penser que le Prophète ﷺaurait été le premier à fuir la Mecque pour Médine. Ce serait mal le comprendre. À l’inverse, c’est seulement après que la quasi-totalité des musulmans mecquois aient émigré qu’il entreprend le voyage. Les Qurayshites craignent cette nouvelle situation, car elle risque d’impliquer un désastre économique et politique à moyen terme. En effet, Médine est une ville commerciale qui se trouve sur la route des caravanes du Nord. Ils craignent donc que les musulmans s’attaquent à leurs convois et leur bloquent ainsi un accès commercial vital à la Syrie. De plus, les Médinois ont la réputation d’être de bons guerriers. Leur entrée en islam pourrait changer le rapport de force entre Quraysh et les musulmans. Les notables de la Mecque décident donc de se réunir au parlement de la cité, Dâr al-Nadwâ, pour décider du sort du Prophète ﷺavant son départ. Après un court débat, c’est l’avis d’Abû Jahl qui est retenu. Il propose de tuer le Prophète ﷺ. Personne n’avait encore jamais osé proposer cela. En effet, Muḥammad ﷺétait issu d’une des branches les plus nobles de Quraysh. Le tuer, dans ce système tribal, entraînerait, par devoir de préservation de l’honneur clanique, la vengeance des siens. Pourtant, Abû Jahl trouve un moyen de contourner ce problème. Chaque clan de Quraysh et des tribus alliées enverrait un jeune homme, issu d’une famille noble. Ils le frapperaient tous de leur arme. De cette manière, la responsabilité de son sang serait répartie entre tous les clans. La vengeance de la famille du Prophète ﷺne pourrait plus s’exercer. Par ce détour, le meurtre de Muḥammad ﷺ, pourtant issu d’un clan très puissant, n’entrainerait pas une guerre de clans. L’ange Gabriel informe le Messager de Dieu ﷺdu complot. Ce dernier demande aussitôt à son meilleur ami Abû Bakr de faire les préparatifs du voyage et d’attendre ses instructions. Abû Bakr pleure de joie en apprenant qu’il accompagne le Prophète ﷺpour Yathrib, qui ne deviendra Médine qu’après l’Hégire. Une fois chez lui, le Prophète ﷺdemande à ’Alî b. Abî Ṯâlib, son cousin, de prendre sa place dans son lit. Il le couvre de son manteau et lui assure la protection de Dieu. Il lui demande de rester encore un peu de temps à la Mecque pour restituer leurs dépôts à leurs propriétaires polythéistes. Au passage, il est presque ironique de constater que le Prophète ﷺavait un comportement tellement exemplaire, avant et après l’islam, que les notables mecquois ont continué à déposer leur argent chez lui quand ils partaient en voyage. Il restait à leurs yeux, la personne en qui on pouvait le plus avoir confiance à la Mecque, alors même qu’ils le persécutaient et planifiaient de le tuer. Le Prophète ﷺsort de chez lui avant que les assassins n’y entrent et se rend chez Abû Bakr. Ils quittent ensuite la Mecque, ville natale du Prophète ﷺ.

Dans la grotte de Thawr Le Prophète ﷺannonce à Abû Bakr qu’ils ne se dirigent pas vers le Nord où se situe Médine, mais vers le Sud. En effet, le Prophète ﷺsouhaite se réfugier quelques jours dans une grotte située à environ dix kilomètres de la Mecque dans la montagne de Thawr. Si le Prophète ﷺse dirige vers le Sud, c’est parce qu’il sait que les polythéistes se lanceront à sa recherche. Il cherche donc à brouiller les pistes, en allant à l’opposé de la route que tous attendent qu’il prenne. Durant le séjour du Prophète ﷺet d’Abû Bakr dans la grotte, c’est Asmâ’, fille d’Abû Bakr, qui leur apporte de quoi manger. Enceinte alors du futur ’Abdullâh b. al-Zubayr, elle attache les vivres sur son ventre, utilisant sa grossesse pour les camoufler. Son frère, ’Abdullâh, est chargé d’apporter des nouvelles de La Mecque aux deux fugitifs. ’Âmir b. Fuhayra, ancien esclave affranchi par Abû Bakr, a pour mission d’effacer les traces laissées par ’Abdullâh et Asmâ’ en faisant passer les troupeaux de bêtes de son employeur et ancien maître sur les chemins empruntés. Cette organisation sans faille est ce qui permet au Prophète ﷺde ne pas être capturé. En effet, les notables mecquois, apprenant sa fuite, ont promis 100 chameaux à quiconque leur apporterait le Prophète ﷺ, mort ou vif. Cette récompense, astronomique à l’époque, lance sur les traces du Prophète ﷺde nombreux jeunes combattants de la Mecque et de ses environs. À leur arrivée, Abû Bakr s’empresse de pénétrer en premier dans la grotte, inquiet d’y trouver des scorpions ou un serpent. Le récit de leur voyage comporte de nombreux épisodes qui montrent la sollicitude, l’amour et le dévouement qu’avait Abû Bakr pour le Prophète ﷺ. Le Prophète ﷺ restera trois jours dans la grotte de Thawr. Durant son séjour, malgré toutes les précautions, des pisteurs à sa poursuite parviennent tout de même jusqu’à l’entrée de la grotte. Abû Bakr est effrayé, contrairement au Prophète ﷺqui reste serein et confiant. Les pisteurs ne trouvant personne, ils décident alors de repartir. Dieu révélera à ce sujet : « Si vous ne voulez pas prêter assistance au Prophète, Dieu lui a déjà prêté la Sienne lorsque, chassé par les négateurs et se trouvant dans la grotte avec son compagnon, il disait à celui-ci : ’Ne sois pas triste ! Dieu est avec nous.’ Dieu étendit alors sur lui Sa sérénité, envoya à son secours des troupes invisibles, faisant ainsi échec aux négateurs et assurant le triomphe de la Parole divine, car Dieu est Puissant et Sage. »(9 : 40)

La route pour Médine Après trois jours passés dans la grotte, le Prophète ﷺ et son compagnon se dirigent vers Médine en suivant un chemin différent de celui des caravanes. Le Prophète ﷺest accompagné d’Abû Bakr, de ’Âmir b. Fuhayra et de leur guide ’Abdullâh b. Urayqat qui n’est pas musulman. Le récit du voyage est riche d’anecdotes et d’événements. Parmi ceux-ci, la rencontre d’une femme connue sous le nom d’Umm Ma’bad. Celle-ci leur offre son hospitalité et donne après leur départ une description précise du Prophète ﷺà son mari. Par la suite, le Prophète ﷺcroise un cavalier du nom de Surâqa b. Mâlik. En voyant le groupe au loin, Surâqa brandit son épée et fait galoper son cheval dans leur direction. Un miracle se produit alors : les pattes de son cheval s’enfoncent dans le sol, ce qui l'arrête dans sa course. Après trois tentatives, Surâqa comprend qu’une force surnaturelle protège le Prophète ﷺ. Il demande à l’approcher en toute sécurité et lui propose son aide et même ses vivres, mais le Prophète ﷺlui demande juste de retourner à la Mecque et d’égarer les polythéistes dans leurs recherches. Sur la route pour Médine, le Prophète ﷺren-contre aussi Burayda b. al-Ḥaṣîb, chef du clan d’Aslam de la tribu des Banî Aslam. Ce dernier, par appât du gain, recherchait aussi le Prophète ﷺ, accompagné d’un groupe de cavaliers. Après une brève discussion avec le Prophète ﷺ, il embrasse l’islam, ainsi que plusieurs de ses hommes. Les Banî Aslam deviennent alors des alliés du Prophète ﷺ. De nombreux épisodes de la vie du Prophète ﷺmontrent sa force de conviction et son immense éloquence. À de nombreuses reprises, il s’en est servi afin de résorber les tensions et éviter les conflits, et faire de certains ennemis de l’islam certains de fervents défenseurs de cette religion.

L’arrivée à Qubâ’ et l’entrée à Médine Au moment de l’Hégire, la ville de Yathrib est une grande agglomération de villages multi-ethnique et multi-religieuse. Un tiers des habitants, répartis dans trois tribus, sont juifs. Le reste de la population est partagé en deux grandes tribus arabes, les Aws et les Khazrajs, partiellement entrées en islam. À son arrivée, le Prophète ﷺfait une halte à Qubâ’, un village mitoyen, au sud de la cité. Il y arrive le jeudi 8 du mois de Rabî’ al-Awwal et y reste quatre jours. Il est logé par un homme des Aws appelé Kulthûm b. al-Hadm, alors qu’Abû Bakr est logé par les Khazrajs. Il débute la construction de la première mosquée de l’islam, la mosquée de Qubâ’. Le Prophète ﷺdira plus tard que faire une prière dans cette mosquée revient à effectuer un petit pèlerinage (’umra). Le vendredi matin, il envoie chercher les Banû al-Najjâr, de la tribu des Khazrajs, dont est issue son arrière-grand-mère, afin qu’ils l’escortent, ainsi que Abû Bakr, jusqu’à Médine. Arrivé au niveau du territoire des Banî Sâlim, le Prophète ﷺaccomplit la prière du vendredi accompagné d’une centaine de mu-sulmans. Le Prophète ﷺentre à Yathrib un lundi, le 12 de Rabî’ al-Awwal, deux semaines après son départ de la Mecque.

Analyses et enseignements contemporains Le Prophète ﷺdemande à ’Alî de rester à la Mecque pour restituer leurs dépôts aux polythéistes, alors que les notables de la cité persécutent les croyants physiquement et économiquement. En agissant de la sorte, le Prophète ﷺrappelle que l’individu ne doit pas juger tout un peuple à cause d’injustices commises par certains. Il ne doit pas même être injuste envers ceux qui sont injustes avec lui. Il est essentiel de rester honnête et juste envers tout un chacun. Lors de l’Hégire, le Prophète ﷺest aidé par les enfants d’Abû Bakr et ’Âmir b. Fuhayra. Au cours de sa vie, le Prophète ﷺétait entouré de nombreux jeunes comme al-Arqam, ’Alî, ’Abdullâh b. ’Umar, ’Abdullâh b. al-Zubayr, Anas b. Mâlik, Usâma b. Zayd, etc. Il avait toujours à cœur d’exploiter le potentiel des jeunes et veilla à ne pas les laisser en marge de sa mission. De façon parfois étonnante, il leur donna des responsabilités importantes, en leur confiant des charges selon leurs compétences et leurs capacités. Les jeunes générations représentent le présent et l’avenir d’une société, et cela, le Prophète ﷺl’avait très bien compris. En rapprochant de lui la jeunesse, le Prophète ﷺa formé et éduqué lui-même les plus jeunes. L’éducation est en islam un principe fondamental. Lors de l’Hégire, le guide du Prophète ﷺest un polythéiste. Alors même qu’on promet d’offrir 100 chameaux à celui qui amènera le Prophète ﷺmort ou vif, ce dernier place sa confiance en une personne qui ne partage pas sa foi. Concrètement, le Prophète ﷺmet l’avenir de l’islam et des croyants entre ses mains. Cet acte du Prophète ﷺprouve qu’il n’y a aucune relation entre « confiance » et « foi en Dieu ». C’est la preuve qu’en tant que musulmans, nous pouvons tout à fait travailler avec des non-musulmans, et même leur accorder toute notre confiance. À Qûbâ’, le Prophète ﷺest logé chez les Aws et non chez les Khazrajs. Il souhaite passer le message suivant aux Arabes : l’islam n’a aucune relation avec le tribalisme. En effet, son arrière-grand-mère était de cette tribu. Le Messager de Dieu ﷺne veut pas que les Aws, qui étaient en conflit avec les Khazrajs avant l'islam, pensent qu’il privilégie ces derniers. En islam, le meilleur musulman est le plus pieux, qu’il soit un homme ou une femme, un enfant ou un adulte, arabe ou non arabe. Dieu dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient et bien Informé. »(49 : 13)